Avec les photographies réalisées depuis 2008 avec son téléphone portable (ou photophone), Jean-Paul Dumas-Grillet donne une nouvelle dimension à sa recherche photographique. Parmi les instantanés qu’il recueille au hasard de ses déplacements, il sélectionne quelques images, pour la plupart en noir et blanc, qui seront ensuite retravaillées à l’ordinateur, puis agrandies en grand format. Les œuvres résultant de cette conversion, dans leur monumentalité, aussi bien que par leur présence, ou leur sensualité, s’opposent diamètralement au principe ordinaire de la photographie de téléphone portable. Celles-ci sont, en effet, en parfait décalage avec la révolution opérée par l’usage des photophones qui a introduit un changement radical de notre perception du monde, et de la façon d’en conserver des traces. Le photophone ajoute à sa fonction première de téléphone mobile, qui permet d’être constamment, et en tout lieu joignable, celle d’un appareil-photo numérique que l’on a en permanence avec soi, et qui nous donne le sentiment qu’aucun moment du présent ne peut nous échapper. Le photophone n’est pas destiné à stocker les moments de vie comme souvenirs pour la postérité, mais, plutôt, à capter des impressions rapides qui seront envoyées par mms comme la confirmation à l’autre de notre existence à un moment donné - à moins qu’aussitôt prises elles ne soient supprimées. Dans cette urgence à saisir l’instant, le savoir-faire technique, les réflexions esthétiques, sont secondaires, voire contre-productives. Et c’est désormais une photo bougée d’amateur, s’affirmant sans intention, qui a valeur d’authenticité, est proche de la vie, fait office de vérité. Jean-Paul Dumas-Grillet brise cette illusion, que les images se produiraient presque d’elles mêmes, pour ainsi dire automatiquement, sans passer par un processus de révélation. Tirant profit de la spontanéité intuitive que permet le photophone, il l’utilise comme un prolongement de sa main, saisissant à la manière d’esquisses, des impressions visuelles qui seront le point de départ de son exploration artistique. Par le travail qui s’ensuit sur l’image, la photocopie brute du réel sera revisitée après un temps de latence dans une approche méditative. Dans un lent processus de retouche numérique, Jean-Paul Dumas-Grillet recompose des partie de l’image, efface certains signes trop caractéristiques, accentue ou atténue les rapports entre les espaces, les surfaces, et provoque progressivement une distanciation entre la photographie définitive, qui est une sorte de réapparition, et sa référence au réel. Se souvenant des modèles de composition classique de la peinture, il conçoit ses photographies de portable comme des tableaux de maîtres anciens, mettant clairement en valeur les similitudes structurelles entre la photographie, la peinture, et le cinéma.
Les photographies de Jean-Paul Dumas-Grillet montrent des vues intérieures de bâtiments qui frappent par leur vacuité, anonymes et débarrassés de toute trace humaine. Elles produisent une sorte de repos esthétique, à l’opposé de la photographie de portable, définie particulièrement comme „photo de la vie ordinaire des gens“. Le jeu de la lumière et des ombres rythme le regard, l’agrandissement de la matière première où vibrent les nuances de gris, de blanc, et même de noir, mettent à jour la sensualité de la texture de l’image comme une peau où se graverait le réel en trace de lumière, et ce, en dépit de la prise de vue numérique. Ainsi le réalisme supposé de la photographie est mis en doute, dans ce processus de retouche qui n’est qu’une autre manière de dévoilement, où des espaces en marge de la supposée réalité se manifestent. Fixées à l’instant où le visible semble se retirer, les photographies de portable de Jean-Paul Dumas-Grillet doivent encore leur monumentalité imposante à une concentration essentielle des sensations, comme si l’instantané avait saisi un instant crucial dans lequel tout est contenu.